De l’analyse des thés
Si les préférences de chacun entrent nécessairement en ligne de compte lors de l’évaluation d’un thé, il est néanmoins nécessaire , afin de progresser et de faciliter l’échange avec d’autres amateurs, d’apprécier le thé sur base de ses caractéristiques les plus objectives. En effet, alors que nos avis peuvent diverger lorsqu’il s’agit d’opiner sur les couleurs ou la coupe d’un vêtement, les saveurs d’un plat, ou les sensations communiquées par un film, nous pouvons nous retrouver lorsque nous parlons du confort (le vêtement est-il agréable à porter?), de la texture ou de la qualité des effets spéciaux. Il en est de même pour le thé.
Le long de ma pratique du thé, mes critères d’évaluation ont évolué sensiblement. Alors que les parfums et les saveurs (ô combien subjectifs) étaient au début d’une grande importance, ce sont désormais la propreté (agriculture biologique ou sans utilisation de produits chimiques), la structure et l’occupation de l’espace par la liqueur, les sensations corporelles ou encore l’énergie (chaqi) qui guident mes choix et mes appréciations.
Bien qu’adoptant rarement une approche analytique du thé, j’ai néanmoins résumé sous forme de « grille » les éléments dont je tiens compte lors de l’évaluation d’un thé (ou d’un ustensile, d’une méthode d’infusion…). Certains me sont bien entendu plus chers que d’autres.
Ces différents axes d’analyse, dont les frontières sont parfois mal définies et qui peuvent se chevaucher (arômes vs saveurs? le huigan n’est-il pas plutôt une sensation? quid de la minéralité?), ne me sont bien entendu pas propres et relèvent d’un exercice théorique. Ils ne sont par ailleurs pas exhaustifs (on pourrait par exemple mentionner la clarté de la liqueur) et ne sont pas dénués d’éléments subjectifs. Néanmoins ils forment un schéma d’appréciation indicatif et font la part belle aux critères permettant d’évaluer objectivement la qualité d’un thé.
Le premier dans la liste, et sûrement le plus important, est la propreté. Avec les années notre sensibilité s’aiguise et nous pouvons, en dégustant un thé ou en humant ses feuilles sèches, reconnaître lorsque des produits chimiques (herbicides, pesticides, fongicides, engrais…) ont été utilisés par le producteur. Des sensations de brûlure ou de picotement au niveau de la langue ou du palais, un gonflement de la lèvre, un rétrécissement de la gorge, l’apparition subite d’une toux ou un mal de ventre sont autant de symptômes qui peuvent se présenter lorsque le thé n’est pas propre. Si l’amateur de thé éclairé privilégiera les feuilles cultivées dans le respect de l’environnement et des hommes, pour certains d’entre eux consommer des thés « conventionnels » n’est plus une option tant les désagréments peuvent être importants lors de la dégustation.
Les feuilles peuvent en dire beaucoup sur le façonnage, l’âge ou l’origine des thés. Il suffit pour cela de les observer attentivement et de les humer à différentes étapes de la session: sèches dans le sachet ou la jarre, dans la théière préchauffée ou après une infusion. L’expérience aidant les feuilles seules peuvent s’avérer très bavardes!
Une fois en bouche, la texture et la structure du thé sont de première importance : la liqueur est-elle épaisse, grasse, visqueuse? Quel espace occupe-t-elle? Est-elle dense ou éthérée, vaporeuse? Comment nos muqueuses réagissent-elles en sa présence? Les thés de qualité offriront une liqueur octueuse qui glissera facilement vers le fond de la gorge, sans qu’il soit nécessaire de la forcer.
Par ailleurs, des sensations physiques agréables telles que la salivation ou le gonflement de la gorge accompagneront la dégustation de thés de qualité.
Les arômes de la liqueur se présentent à nous d’abord lorsque nous passons la tasse sous nos narrines et humons les effluves de thé (étape également importante pour accroître notre perception du Qi, notamment pour les wulong). En bouche, les arômes des bons thés s’installeront entre la langue et le palais, remonterons depuis la gorge et empliront la cavité nasale avec intensité et finesse. Certains arômes seront à notre goût, d’autres pas, aussi il convient d’aborder avec prudence les parfums afin de ne pas trop teinter l’évaluation de subjectivité.
Lorsque le thé entre en boucle les saveurs doivent rapidement éclabousser et percuter le palais. Idéalement elles imprègnent intensément la bouche et sont présentes où que nous portions l’attention. Avec les thés de qualité on notera un retour de flaveurs – car peut-on parler de saveurs? – depuis la gorge laissant une sensation de fraîcheur en bouche, comme mentholée, particulièrement appréciée des amateurs de thé asiatiques (appelée hui gan, 回甘 )
Le Qi, ou chaqi (茶氣) est certainement l’aspect du thé le moins connu et le moins évoqué en occident. Il est également le plus subjectif et sa perception différera selon la sensibilité de chacun. En Chine, le Qi est l’énergie fondamentale qui anime les phénomènes de l’univers. Par extension, le chaqi est la capacité du thé à nous connecter à ces flux d’énergie qui nous traversent. On parle également de chaqi pour désigner les effets relaxants et méditatifs que peuvent avoir certains thés. Loin d’être ésotérique ou magique, le chaqi peut s’expérimenter si le thé s’y prête et si nous y sommes ouverts. J’y consacrerai un plus long article prochainement car il s’agit une facette du thé méconnue mais de première importance pour qui envisage de pratiquer le thé comme une Voie.
Enfin la patience désigne le nombre d’infusions qu’offre le thé. Celle-ci dépendra du type de thé, de la qualité des feuilles mais également de la technique d’infusion utilisée et de la maîtrise technique de l’amateur.
Mon approche du thé n’est la plupart du temps en rien formelle et systématique. Néanmoins adopter de temps à autre une approche cadrée, en portant son attention sur les caractéristiques « objectives » du thé, me semble la seule manière de progresser. J’espère que ce billet vous donnera l’envie d’expérimenter et d’emprunter de nouveaux sentiers.
Je viens seulement de découvrir ton texte, c’est vraiment très intéressant, mettre des mots sur ce que l’on sens et ressens, la grille est vraiment bien pour s’y retrouver. J’ai tellement de questions en tête… J’attends ton billet sur le chaqi avec patience 😉
Tu l’auras compris il ne s’agit ici que de donner des pistes et non de structurer une approche. Je me ravis néanmoins de savoir que ce billet puisse être utile.