Thé, Zen, même saveur (I)

Réfléchir à l’adage « Le thé et le zen ont la même saveur » (茶禪一味), fréquemment repris et affiché dans les alcôves (tokonoma) des pièces de thé lors des cérémonies, revient d’abord à s’interroger sur la nature du zen. Qu’entend-t-on par ce mot utilisé par nos contemporains, et ce jusqu’à saturation par les vendeurs de bien-être, comme synonyme de « tranquille », « cool » ou « relax »?

Le zen (chan) est d’abord une école chinoise du bouddhisme centrée sur une forme particulière de méditation (zazen) qui n’est ni progressive ni quiétiste mais qui va directement à l’essentiel. Hui Neng, le sixième patriarche chinois, en a traduit l’essence dans le poème suivant calligraphié sur un mur du monastère où il officiait comme cuisinier.

Il n’y a jamais eu d’arbre de l’Eveil,
Guère plus que de clair miroir,
La bouddhéité est toujours immaculée,
Où y trouverait-on de la poussière?

Le zen de Hui Neng est avant tout une expérience, et l’accès à l’éveil, c’est à dire à la reconnaissance intime de la vacuité des phénomènes et de la construction illusoire de l’égo, se fait par la méthode la plus efficace et la plus simple possible, au-delà des pratiques rituelles et de l’exégèse des soutras.

Cette expérience, l’esprit méditatif lui-même, s’actualise alors dans les activités du quotidien et se transmet au-delà des écritures, d’esprit à esprit (I Shin Den Shin, 以心伝心). C’est ainsi que la première transmission de la tradition eut lieu il y a deux mille cinq cent ans. Au Pic des Vautours, le Bouddha Shakyamuni saisit une fleur et la fit tourner entre ses doigts. Son disciple Mahakashyapa comprit et sourit.

Les voies conduisant à la compréhension et à la transmission du zen, expression de la réalité et de l’esprit éveillé, sont multiples et aussi variées qu’une oeuvre d’art, le son d’un caillou projeté sur un bambou ou celui métallique d’une tasse reposée sur son cha tuo (chataku). L’art a souvent été utilisé comme medium par les maîtres pour transmettre cet esprit du zen. Il ne convient alors pas de briller par la technique mais d’exprimer et refléter dans le coup de pinceau ou le haïku l’esprit ouvert, ample et vide expérimenté en zazen et cultivé dans la vie quotidienne. Aussi, afin de tracer la calligraphie parfaite, il convient d’abord de se parfaire soi-même puis de peindre naturellement.

Si les arts picturaux ou la poésie sont un vecteur, l’art du thé en est un autre. Comme pour les premiers, la Voie du Thé ne réside pas dans des techniques de préparation, ni dans l’agencement de la salle en vue de la cérémonie. La qualité de l’esprit est essentielle. Un esprit turbulent écarte de la Voie et ne peut conduire qu’à une session ou à une cérémonie agitée et manquant d’harmonie. En revanche, si l’esprit est serein, limpide et ouvert, la préparation devient l’expression mondaine de cette clairvoyance. L’esprit du zen se transmet alors au travers de gestes précis et fluides et se distille dans le thé ensuite absorbé. Si les compétences nécessaires à la préparation du thé requièrent un esprit calme, en retour celui-ci aiguise nos sens. Faire du thé une pratique quotidienne nous transforme, nous rend plus sensible et plus ouvert au monde. Le thé met ainsi en lumière les dissonances entre notre vie et la réalité qu’il exprime.

Aimer le thé c’est le vivre au quotidien, et l’exprimer avec harmonie dans sa perfection est la quête d’une vie. À son disciple Enshu qui demandait qu’on lui enseigne l’essence du thé, Sen No Rikyu répondit ceci:

Aller chercher de l’eau,
Préparer le charbon de bois,
Faire bouillir l’eau,
Infuser le thé,
Puis le boire.

« C’est tout? », protesta Enshu.
« Le jour où tu le feras, je traverserai le royaume, me prosternerai à tes pieds et t’appellerai Maître », conclut Rikyu.

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